Au Gabon, Ali et Pascaline Bongo Ondimba étaient-ils condamnés à se déchirer ?

20 juillet 2023 adminCDBeghi25

Image : Pascaline Bongo et son frère Ali Bongo Ondimba, le président du Gabon. © Montage Jeune Afrique / bp.blospot.com / Présidence de la République gabonaise

Fille préférée de son président de père, Pascaline Bongo est devenue, à la mort de ce dernier, la sœur encombrante de son président de frère. Entre les deux aînés de la première famille du Gabon, la hache de guerre est enterrée, mais l’on ne s’apprécie toujours que modérément.

Sa discrétion est remarquable. Pascaline Mferri Bongo Ondimba, 67 ans, s’efforce de passer inaperçue. Depuis qu’elle a été libérée, le 2 octobre 2019, de ses fonctions quasi honorifiques de haut représentant du président, elle n’apparaît plus sur la scène publique.

Atmosphère crépusculaire

Vue de l’extérieur, sa villa du quartier chic de La Sablière, à Libreville, semble abandonnée. Les murs à la peinture rose bonbon défraîchie et vaincue par l’humidité ajoutent à l’atmosphère crépusculaire de la demeure. Il est loin le temps où une partie du pouvoir politique s’exerçait depuis sa propriété, mitoyenne de celle de son compagnon, Paul Toungui, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances.

En juin 2009, lorsque Omar Bongo Ondimba s’éteint et qu’on lui cherche un successeur, le nom de l’aînée de ses enfants est cité. L’idée fait long feu. Pascaline a-t-elle renoncé parce que son frère, Ali Bongo Ondimba, avait montré plus d’envie ? A-t-elle compris que la conquête d’un palais dont elle connaissait les pièges pour y avoir travaillé pendant des années était une entreprise à l’issue trop incertaine ? À moins qu’elle n’ait choisi de s’effacer
devant son compagnon, dont l’ambition s’était révélée lorsqu’il avait lancé son courant, dit des « Appellistes », au sein du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). Ou qu’elle n’ait jugé ses chances minimes dans un pays pas encore prêt à porter une femme à la magistrature suprême… Pascaline Mferri Bongo Ondimba ne s’est jamais confiée publiquement sur les raisons de son retrait.

Place privilégiée

Pourtant, sur le papier, son CV ne l’aurait pas desservie. Diplômée de l’université Paris-Dauphine (Paris), de l’University of Southern California de Los Angeles (États-Unis), ancienne élève de l’École nationale d’administration (Ena, en France), inspectrice des Finances, elle est appelée aux affaires par son père comme conseillère au Palais du bord de mer.

Dans le même temps, elle est nommée vice-présidente d’Elf Gabon (qui deviendra Total Gabon). Elle intègrera ensuite le gouvernement comme ministre du Pétrole et des Mines, puis comme ministre des Affaires étrangères au début des années 1990, avant de revenir au Palais comme directrice de cabinet du président.

Proche de son père, Pascaline bénéficie d’une place privilégiée au sein du système. Omar Bongo Ondimba s’appuie volontiers sur l’aînée de ses enfants, née de son union avec Louise Mouyabi Moukala, et sur le bureau de laquelle transitent les dossiers les plus importants. Avec son compagnon en grand manitou des finances publiques, Pascaline a indirectement la haute main sur des pans entiers de l’économie nationale.

Très impliquée dans les affaires familiales, elle se pose également en cheffe de clan, qui rassemble la nombreuse fratrie. Sa puissance est à son firmament durant les dernières années de vie du « Doyen ». À cette époque-là, Ali, son cadet de trois ans, né de l’union d’Omar Bongo Ondimba avec Patience Dabany, se fait plus discret.
Certes, il est membre du gouvernement, mais le ministère qui lui a été confié – la Défense – lui impose la discrétion.
Ali n’a pas vocation à faire parler de lui. Pascaline, elle, occupe le devant de la scène.

Train de vie fastueux

Elle se distingue alors par son train de vie fastueux et par son goût des voyages en avion privé. Le quotidien français Le Monde ne se prive pas de relater un épisode : le 10 août 2008, elle invite Jermaine Jackson – l’un des frères du roi de la pop, Michael Jackson – à Libreville dans un Gulfstream G555, de Los Angeles à Libreville via Orlando et Nice. Coût du périple : 478 900 euros.

En 2009, affecté par les complications d’un diabète, le patriarche quitte le pays par avion médicalisé pour se faire hospitaliser dans une clinique de Barcelone. À la fois à son chevet et aux commandes du Palais, Pascaline s’envole avec le président et quelques proches. Pendant ce temps, à Libreville, Ali retient son souffle, suspendu aux nouvelles en provenance d’Espagne.

Lorsque le décès du chef de l’État est officiel, le ministre de la Défense ferme l’espace aérien, ordonne à l’armée de se tenir en alerte. Dans les rues, des militaires installent des barrages filtrants et procèdent à des contrôles de véhicules. Deux messages sont ainsi envoyés à la population. Le premier est que l’État ne s’est pas effondré à la mort du président. Le second, plus subliminal, est celui de l’émergence d’un pôle de pouvoir avec lequel il va
falloir compter.

Pascaline revient de Barcelone avec la dépouille du défunt et prépare les obsèques. Mais plusieurs dignitaires du PDG ont déjà fait allégeance à celui qui avait été porté à la vice-présidence du parti lors du congrès de 2007.

Les tractations d’avant campagne électorale sont en cours, la capitale fait ses choux gras de la rivalité entre les deux aînés de la fratrie. Pascaline s’implique peu dans la pré-campagne de son frère. Il ne l’attend pas, obtient l’investiture du parti, se lance dans la course. Elle finit par le rejoindre.

Le scrutin a lieu, mais les résultats sont contestés. Résignée ou pragmatique, Pascaline empoigne son téléphone pour négocier « la paix » avec les autres
candidats. C’est elle qui appelle André Mba Obame, arrivé dans le trio de tête, pour lui demander d’accepter la victoire de son ami et « frère », Ali.

Querelles et rabibochages

Après les obsèques du patriarche et l’élection présidentielle de 2009, le temps d’ouvrir la succession a sonné. Sur la brochette des 54 ayants-droits, Pascaline et Ali sont désignés légataires universels d’un patrimoine familial colossal. Leurs relations ne s’en portent pas mieux. Qui, du président ou de sa sœur, est le « vrai » chef de cette famille aussi puissante que tentaculaire ?

On se chamaille, se déchire, se rabiboche, se fâche de nouveau… Les liens unissant Pascaline à Ali se distendent encore davantage lorsque la Présidence choisit de rompre avec certaines pratiques du passé. Plus question de financer les dépenses excessives de l’aînée de la fratrie.
Le 31 juillet 2015, Travcon, une société suisse de location d’avions, réclame à la présidence gabonaise le paiement d’une créance de 8 356 097 dollars.

Libreville refuse de payer. En février 2015, le créancier obtient la saisie d’un aéronef de l’État gabonais sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, en France. L’avocat de l’État gabonais estime la procédure abusive, d’autant que, selon lui, le débiteur n’est pas l’État mais une personne physique : Pascaline Bongo Ondimba.

Les ayants-droits proches de Pascaline ont très modérément apprécié la décision d’Ali de rétrocéder à l’État certains biens de la succession dans le cadre d’une fondation, sous la forme d’une université à Libreville et de deux hôtels particuliers à Paris, affectés à un usage diplomatique et culturel. En décembre 2014, malgré l’obstruction de certains notaires, Claude Dumont Beghi, l’avocate mandatée par Ali Bongo Ondimba, produit un document qui règle la succession et fait valider par les magistrats l’ensemble des biens d’Omar Bongo Ondimba.

Mise en examen

Pascaline, elle, n’a jamais retrouvé l’influence qui était autrefois la sienne. Sans doute y a-t-elle renoncé, elle qui vit désormais entre Paris et Libreville. Elle a même été mise en examen en France, en 2022, dans l’affaire des biens mal acquis d’Omar Bongo Ondimba, ainsi que d’autres membres de la famille. Il lui est reproché d’avoir bénéficié de biens, principalement immobiliers, que son père aurait acquis en France de manière frauduleuse.

 


Source: Jeune Afrique
Auteur: Georges Dougueli

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